Suite à son appel à l’ « émigration » lancé à notre
communauté
par Sayed Hasan
Cette lettre ouverte est la réponse d’un musulman français à l’appel à l’émigration lancé par « Cheikh » Imran Hussein aux musulmans de
France suite à l’attaque contre Charlie Hebdo. Une première version lui en a
été adressée à titre privé le 25 janvier, en anglais, et n’a pas reçu de suite
notable – sinon une dérobade condescendante et un renvoi à un nouvel appel plus
tonitruant encore de folie furieuse, qui n’a heureusement pas été relayé (il est publié à la fin de cette lettre). Elle
est maintenant publiée en tant que lettre ouverte, dans une version enrichie et
structurée afin d’en faciliter la lecture et la compréhension, mais elle garde
la même teneur que la lettre qui fut adressée à Imran Hussein via courriel.
Ce n’est pas tant pour obtenir une réponse de sa part que nous publions cette
lettre – car il n’est manifestement pas dans une démarche d’ouverture et de
dialogue mais de prédication fanatique et forcenée – qu’à destination des
publics français.
Imran Hussein est parfois présenté
comme un savant de l’Islam spécialiste de « l’eschatologie », et
portant un regard éclairé sur l’actualité internationale qu’il analyse au
regard des sources théologiques. Sans récuser l’intérêt que peuvent présenter
certaines de ses analyses, quiconque a des connaissances islamiques un tant
soit peu sérieuses peut affirmer avec certitude que sa légitimité, son autorité
et le sérieux de ses travaux d’exégèse et de ses analyses théologiques sont
nuls et contredisent bien des enseignements fondamentaux de l’Islam. Cette
lettre ouverte sera une première esquisse, un premier jalon dans un effort
visant à le démontrer à tous ceux qui n’en sont pas convaincus en écoutant ses
divagations. Elle sera suivie par d’autres écrits et documents plus ciblés et
plus synthétiques, et par la traduction d’un récent discours religieux de Sayed
Hassan Nasrallah consacré à l’eschatologie islamique authentique dans son
rapport à l’actualité internationale et à la fin des temps. Sayed Hassan Nasrallah
y dénonçait notamment, en s’appuyant sur des preuves qui font l’unanimité des
écoles de l’Islam et de toute personne rationnelle, les dangers représentés par
les prédicateurs qui prétendent connaître l’avenir, dont Imran Hussein est un
parfait exemple (pour les arabophones, voir dès à présent ici et ici).
Cet appel à la hijra, ou « émigration », lancé aux musulmans français
du fait de leur situation en France et de ce que les événements actuels peuvent
laisser présager d’après lui, est absolument insensé, scandaleux et
irresponsable, et même franchement grotesque – et c’est une évidence, que l’on
se base sur des critères rationnels, moraux ou religieux –, au point qu’un tel individu
ne devrait pas même recevoir la moindre considération, et encore moins motiver
un long effort de réponse qui consistera nécessairement en un égrenage
fastidieux de truismes. Mais le contexte étant ce qu’il est, Imran Hussein
étant considéré par d’aucuns comme une autorité, et son premier appel ayant
malheureusement été relayé par plusieurs sites d’information alternatifs sans
les avertissements et caveat nécessaires (par légèreté, imprudence ou
ignorance, voire, on a parfois pu le craindre, dans un agenda politique de
couleur brun – bleu marine), ce qui lui a permis de dépasser les 150 000 vues (toutes
sources confondues), sans qu’il ait suscité de réponse formelle et publique à
notre connaissance, cette démarche peut ne pas être inutile.
Pour conclure, je précise que je ne
prétends pas m’exprimer au nom de tous les musulmans de France : j’ai
moi-même trop souffert d’entendre des voix dépourvues de toute légitimité (autoproclamées
ou nominées d’en haut et/ou d’en dehors de notre communauté à des fins de
contrôle, d’infantilisation et même d’humiliation) s’exprimer en mon nom et
proférer des insanités et même des infamies. Je ne prétends pas à l’adhésion de
l’ensemble de la communauté musulmane française au fond et à la forme de tous les
points avancés ci-dessous, mais je suis convaincu du fait que mon analyse est
bien plus conforme au bon sens, au droit moral et positif, aux lois divines, à
la réalité de la situation en France et dans le monde et au sentiment de la
grande majorité des musulmans français que ne le sont les élucubrations
charlatanesques d’Imran Hussein.
Introduction
Les musulmans en France : opprimés et persécutés ?
La France est-elle « notre » pays ?
« Là-bas », serons-nous « chez nous » et en sécurité ?
Quels pays sont vraiment « musulmans » ?
L’émigration du temps du Prophète (saas)
Une « retraite stratégique » ?
L’Islam et le choc des civilisations
Introduction
Les musulmans en France : opprimés et persécutés ?
La France est-elle « notre » pays ?
« Là-bas », serons-nous « chez nous » et en sécurité ?
Quels pays sont vraiment « musulmans » ?
L’émigration du temps du Prophète (saas)
Une « retraite stratégique » ?
L’Islam et le choc des civilisations
Introduction
Salutations
de paix (As-salamu ‘alaykoum),
Je
tenais à vous exprimer ma plus vive indignation au sujet de votre vidéo
invitant les musulmans français – et en particulier ceux qui ont des origines
étrangères – à émigrer en direction de « leur » pays, et à vous
demander de bien vouloir clarifier le fond de votre pensée et d’apporter des
preuves et arguments valables pour soutenir vos propos. En tant que musulman,
franco-algérien (né et ayant vécu en France, et ayant la double nationalité),
en tant qu’homme de principes, attaché à la morale et au droit, et, avec la
Grâce de Dieu, en tant que personne douée de raison et de discernement, je ne
peux qu’être profondément scandalisé par à peu près tout ce que vous dites.
Avec tout le respect qui est dû à un aîné, dont la bienveillance peut être
postulée, et si je puis exprimer le fond de ma pensée, je considère vos exhortations
contraires au bon sens, à l’éthique et à toute justice, et opposées aux
enseignements fondamentaux du Saint Coran et de notre Prophète Muhammad (saas)
tels que je les comprends. Et plus encore, irresponsables dans ce contexte.
Je
vais donc m’efforcer de justifier mon point de vue de la manière la plus
claire, la plus ferme et la plus respectueuse, en espérant que je pourrai
obtenir une réponse argumentée à mes objections.
Les musulmans en France : opprimés et persécutés ?
Vous
avez commencé par décrire la vie en France pour les musulmans comme impossible.
Selon vous, la situation est telle que nous n’avons dorénavant qu’une seule
alternative : soit nous renier, baisser la tête et perdre notre dignité,
soit partir, émigrer.
Je ne suis pas d’accord avec votre analyse de la situation. Certes,
il y a clairement une offensive politique et médiatique contre l’Islam et les
musulmans – et ce dans tout l’Occident, du reste, et pas seulement en
France : la première fois que j’ai entendu ces exhortations insensées à l’émigration,
c’était de la part d’un imam salafiste (palestinien de surcroît) à Miami en
2008, durant les élections présidentielles, au sujet de la phrase de John Mc Cain à propos d’Obama. Et du reste avant cela, Marcus Garvey et Malcolm X l’avaient
prôné auprès des Noirs des Etats-Unis, mais heureusement, le grand Malcolm X a
radicalement changé
sa perspective lorsqu’il a eu
accès à l’Islam authentique et à son message universel – mais vous voulez
apparemment nous faire régresser d’un siècle. Certes, nous sommes méprisés,
avilis, piétinés, etc., c’est la vérité, mais tout cela se produit surtout dans
les médias, dans l’arène politique, etc., et donc dans d’autres sphères que
celle de la vie quotidienne. Dans la vie de tous les jours, les difficultés ne
sont pas si grandes. Nous vivons dans la vie réelle, pas à la télévision,
et du reste, nombreux sont ceux qui désertent les médias dominants au profit d’Internet :
l’exemple du succès de Dieudonné suffit à démontrer que des millions de
personnes – et pas que des musulmans, loin de là – se moquent éperdument de la
propagande politico-médiatique. Bien sûr que nous faisons parfois l’expérience
de ce que l’on pourrait clairement appeler des préjugés, du racisme, de l’islamophobie
dans notre vie quotidienne, et peut-être même que plus notre milieu socio-professionnel
est « élevé », plus ces agressions deviennent vives et palpables –
mais alors nous sommes mieux armés encore pour nous défendre. Mais les
ignorants, les brebis et les fielleux ne sont pas d’un naturel offensif et
peuvent être aisément calmés s’ils s’avisent de dépasser les limites, surtout
que le caractère et la culture « originels » des arabo-musulmans sont
loin de s’être dissipés, et que nous sommes, en général, des éléments fiers, sensibles
à l’honneur et à la dignité, et donc nullement disposés à nous laisser marcher
dessus – dans la tradition authentique, mise à jour, du panache français.
Ainsi, contrairement à ce que vous prétendez, notre barbe ne pose
aucun problème, pas plus que le voile de nos sœurs, de nos épouses ou de nos
filles, du moins aucun problème que nous ne puissions surmonter – car l’opprobre
laïciste sur le voile, unique dans le monde, que nous subissons en France, est
effectivement un véritable problème, mais à défaut de le lever (ce qui peut
être réalisé), nous avons déjà pu contourner cet obstacle qui ne constitue pas
une entrave majeure. Ce n’est pas comme si nous étions une minorité
marginale : nous sommes des millions, et nous sommes une communauté
visible, parfois dominante dans certaines zones géographiques et quartiers, et
coexistant avec des millions de non-musulmans qui n’ont rien contre nous, au
contraire. Ce n’est pas comme si nous ne pouvions pas vivre comme nous le
souhaitions, nous le pouvons tout à fait. Pour mémoire, jusque dans l’enseignement
supérieur, il est arrivé plusieurs fois que des enseignants d’Université trop
zélés soient sanctionnés par leur hiérarchie – et même hués par leurs élèves – pour
avoir fait des remarques désobligeantes à des filles voilées. On peut voir des
filles voilées jusque dans les plus grandes écoles parisiennes, de Henri IV à l’Ecole
Normale Supérieure. Et vous serez peut-être même surpris de savoir qu’il y a
quelque temps de cela, à l’époque où j’y étais moi-même, il y avait une
enseignante française d’origine arabe à l’Université Paris-IV Sorbonne (lieu
hautement symbolique) qui portait le voile durant ses cours même, au moins
durant une année scolaire entière, et je n’ai pas connaissance du fait qu’elle
ait été inquiétée, même si, bien sûr, bien des dents ont dû grincer.
Nous pouvons donc toujours avoir la tête haute, rester attachés à
nos croyances et à nos principes tout en menant une vie normale, saine,
épanouie, et accéder, de plus en plus, à toutes les sphères honorables de la
vie sociale et professionnelle (car nous ne nous lamenterons pas de nous voir
interdire l’accès de certaines portes, que ceux qui sont attachés à leurs
convictions et à leur dignité n’aspirent aucunement à franchir). Nos mosquées
sont pleines le vendredi, et même trop pleines, de nouvelles mosquées
florissant aux quatre coins de la France, dans les endroits les plus reculés.
Sont-ce là des signes d’une vie religieuse moribonde, étouffée, menacée ?
Certes non, bien au contraire. Oui, nous musulmans de France sentons bien que
nous sommes attaqués, mais nous ne sommes pas démunis comme vous le prétendez,
nous ne nous sentons ni faibles, ni vulnérables, ni désorientés et encore moins
perdus ou en proie au découragement ou au désespoir. Nous avançons, et nous
restons fermement attachés à nos principes, et si besoin est, nous irons plus
loin encore dans l’affirmation de notre identité et les revendications, dans le
strict respect d’autrui que notre religion nous impose, afin d’être pleinement
acceptés partout où nous le souhaitons, et de ne plus être soumis à de
quelconques formes de discrimination. Grâce à l’éducation que nous ont
transmise nos parents et à l’instruction que nous avons reçue durant notre
scolarité et nos études, et à celle que nous avons acquise de nous-mêmes, grâce
à toutes les opportunités qui nous sont offertes ici en France, nous sommes
devenus plus éveillés et plus cultivés que nos parents, plus savants et plus
actifs jusque dans notre religion (comme le montre le port très largement
répandu du hijab), nous avons accédé à des postes de responsabilité plus
importants, et nous sommes de plus en plus actifs dans notre société. Et selon
toute vraisemblance, si Dieu le veut, nos enfants iront plus loin encore, sans
jamais se renier ni oublier que nos principes et nos traditions sont pour nous
essentiels et indissociables de notre identité.
Voilà pour ce qui concerne votre analyse de la situation.
La France est-elle « notre » pays ?
Vous affirmez que la France n’est pas notre pays. Bien que nous
soyons nés ici, que nous ayons été élevés ici, que nous ayons construit toutes
notre existence ici et nous sentions chez nous, etc., vous nous récusez le
droit d’affirmer que nous sommes ici chez nous, que la France est bien « notre »
pays. Je ne comprends vraiment pas comment quiconque peut légitimement déclarer
de telles choses, avec un tel aplomb. Comment peut-on s’adresser ainsi à des
millions de personnes et asséner à chacun d’entre eux : « Cette terre sur
laquelle tu es né, où tu as grandi et vécu et que tu as héritée de ton père,
cette maison que tu as construite et dans laquelle tu vis avec ta famille, où
tes enfants sont nés et où ils grandissent, cette ville et ce pays que tu aimes,
tes voisins, tout ce à quoi tu es attaché par des liens matériels et
immatériels, tout cela n’est pas à toi. Tu n’es pas chez toi. Veux-tu savoir où
est ta véritable demeure ? C’est un endroit avec lequel tu n’as peut-être
plus aucune attache, un endroit où tu n’es peut-être jamais allé, dont tu ne
parles peut-être pas même la langue et pour lequel tu ne ressens peut-être
rien, mais c’est ta seule et unique demeure alors retourne-y dès
maintenant. » Quelles sont ces paroles insensées ? Sommes-nous des
colons sionistes, ou des descendants de colons pour mériter de tels
outrages ? Quelle autorité, quelle base pourraient-elles permettre de rendre
légitimement des verdicts si radicaux ? Ce sont là des questions d’ordre légal,
moral et factuel qui ne peuvent être déterminées par aucune personne ou
instance autres que celles qui sont directement concernées, et dans un cadre très
strict, sinon par abus et violation des droits les plus fondamentaux – comme l’ont
fait les sionistes en 1948 lorsqu’ils ont expulsé les Arabes par la force des
armes, leur affirmant qu’ils n’étaient pas chez eux en exhibant leur titre de
propriété falsifié vieux de 2000 ans.
Je précise que je ne m’exprime pas spécifiquement pour mon cas
particulier. Il se trouve que je me sens tout à fait chez moi en Algérie, et
que du reste, j’ai vécu dans plusieurs pays arabes durant quelque temps, et
même dans d’autres pays où j’ai pu profiter d’un grand confort matériel (bien
plus qu’en France) et où je me sentais très bien. Je maîtrise l’anglais, l’arabe
et d’autres langues encore, et je peux me sentir tout à fait à mon aise dans
bien des endroits. Et je peux même avouer qu’il y a plusieurs années de cela, j’avais
effectivement le sentiment que ma place n’était pas en France mais ailleurs,
dans un pays arabe et musulman, et c’est pourquoi j’ai voyagé et essayé de m’installer
ici ou là, mais cela n’a jamais duré plus d’un an. Chaque fois, une raison impérieuse
me ramenait en France, comme si Allah me répétait incessamment : « Cesse de fuir tes
responsabilités, ta place est en France, ton devoir est en France. » Et comme Victor Hugo, j’ai
découvert à l’étranger à quel point j’étais attaché à mon pays. Mais je précise
que je ne considère aucunement de telles expériences et sentiments personnels
comme des arguments universels recevables en
eux-mêmes, et je ne les avance que pour donner plus de poids à mon
argumentation et montrer que contrairement à ce que vous prétendez, ce n’est
certes pas forcément une nécessité d’ordre matériel qui nous maintient en
France mais bien des considérations d’ordre supérieur : c’est ici que nous
devons être, et nous ne pouvons être « chez nous » nulle part
ailleurs.
« Là-bas », serons-nous « chez nous » et
en sécurité ?
Je n’arrive vraiment pas à comprendre comment vous pouvez écraser l’infinité
des cas particuliers et les condenser en une seule et unique
proclamation : « Vous tous, millions d’existences, retournez
chez vous – à savoir, la demeure de vos ancêtres, qui, je le décrète, est votre
demeure. » Que faire de ceux qui n’ont aucun lien avec leur
« demeure » ? Que faire s’il n’y a pas d’endroit spécifique, ou
s’il y en a plusieurs, dans différents pays, comment faire son choix – sans
même parler des Français convertis ? Comment partir, où aller ? Où
habiter ? Et si nous ne pouvions pas trouver de place, si nous ne pouvions
pas nous intégrer, nous adapter à des modes de vie très différents ? Si
nous ne trouvions ni accueil, ni logement, ni travail, ni assistance, ni
bien-être, qu’il soit d’ordre matériel, moral ou spirituel ? Et il est en
effet très vraisemblable que nous n’y puissions pas même nourrir nos familles, car
nous parlons de pays du Tiers Monde où le chômage est considérable, la misère
criante, et les problèmes difficilement surmontables pour les locaux même, qui
sont le mieux armés pour ce faire et qui ont bien du mal à vivre convenablement.
Du reste, ils bénéficient souvent de l’aide que peuvent leur apporter leur
famille outre-Méditerranée – et dont ils seraient privés si nous les
rejoignions. Et ils nous considèreraient certainement, et avec bien plus de
légitimité que ne peuvent le faire les Français d’extrême droite, comme des
envahisseurs étrangers venus manger leur pain qui ne suffisait pas même à les
nourrir.
Que dire en effet du pays même où nous devrions nous rendre selon
vous, de la société que nous trouverons, comme si accueillir comme cela des
millions de personnes ayant une mentalité et des mœurs très différentes pouvait
se faire comme cela, sans heurts, surtout dans nos pays très fragiles qui
seraient justement encore plus déstabilisés par ces raz-de-marée humains ?
Ne voyez-vous pas que cette fantasmagorie chimérique (car Dieu merci, vous préconisez
quelque chose d’absolument insensé et impossible) est une recette infaillible
pour générer le chaos et la destruction, tant au plan individuel, avec les
millions de vies que vous voulez déraciner et briser, qu’aux plans national et
sociétal ? Ce que vous prônez contredit frontalement la morale, la
justice, la raison et la religion. Ordonner ainsi, de manière indiscriminée, à
des millions de personnes d’abandonner leurs vies, leurs foyers, et d’émigrer
vers l’inconnu alors qu’ils pourraient tout simplement rester où ils sont et
continuer à vivre à leur gré et même améliorer leurs conditions de vie et
celles de leurs concitoyens (et je parle bien évidemment de toutes les
conditions d’une vie authentique, du matériel au spirituel), est tout
simplement absurde. D’autant plus que lorsque nous sommes chez nous, il est
plus facile de se défendre face à l’adversité, car nous sommes en terrain
familier : nous connaissons notre société, ses us et coutumes, ses lois, nous
avons des proches, une communauté, etc., tant de repères qui facilitent
grandement l’existence et la lutte. Que dire de tous les problèmes inconnus auxquels
nous devrons inévitablement faire face dans « notre » nouveau pays,
avec tous les handicaps d’un nouveau-venu, seul, inexpérimenté et
impuissant ? N’est-ce pas justement pour cette raison que notre religion
nous enjoint notamment la bonté et la charité envers les voyageurs et les
étrangers, car ils comptent parmi les plus démunis ?
Ce n’est pas un argument recevable que de dire que puisqu’à tel endroit,
on rencontre tel et tel problème, alors il faudrait fuir, émigrer, car les
situations évoluent, de la sécurité à l’insécurité et inversement, de la
tolérance à l’intolérance et inversement (cf. Syrie, Libye, etc.), de l’irréligion
à la foi et inversement (URSS communiste à Russie orthodoxe, Iran du Shah à
République Islamique, etc.). Quelqu’un qui aurait fui l’Algérie en 1990 pour la
Libye ferait aujourd’hui le chemin inverse. Sommes-nous donc supposés, nous
autres musulmans, devenir comme les Bédouins d’antan et vivre en nomades d’une
place à une autre, fuyant les problèmes au fur et à mesure qu’ils apparaissent,
ou vivre isolément comme vous le recommandez, se retirer dans la brousse en
ermites ou en mormons ? Sont-ce là les enseignements de l’Islam ? Fuyez la
compagnie de vos semblables et vivez seuls dans les bois comme des
sauvages ? Ne vivez qu’avec des musulmans, et si vous êtes né au mauvais
endroit (ou si la situation a changé, ce qui ne peut manquer de se produire tôt
ou tard où qu’on aille), faites vos bagages et quittez les lieux ?
Déménagez chaque fois qu’un problème survient, au lieu de l’affronter
courageusement et de le résoudre ? Fuyez le champ de bataille, comme s’il
y avait un seul endroit sur la face de la Terre où les descendants d’Adam ne seront
pas éprouvés dans leur vie et dans leur foi ? Dieu nous a créés justement
pour cela, pour tester notre foi et notre endurance. Et toute la Terre Lui
appartient, et n’a été créée et peuplée que dans ce but. Même en Syrie et en
Irak, où les hommes sont découpés en morceaux par le plus grand
danger qu’ait connu l’Islam à ce jour, à savoir la terreur de l’Etat Islamique, et ont le choix (lorsqu’ils
l’ont) entre se convertir à un rite barbare qui n’a rien à voir avec l’Islam ou
se faire égorger et voir leur femme et leurs enfants captifs, tout ce qu’on
pourrait dire, c’est que l’émigration est autorisée, et certainement pas qu’elle
est obligatoire. Et ceux qui restent pour combattre doivent être encouragés et
loués, même si ceux qui fuient pour leur vie devant un danger réel, concret et
non pas lointain et fantasmé ne doivent pas forcément être condamnés. Quant à
dire que l’analogie n’est pas valable car l’Irak, contrairement à la France,
est une Terre d’Islam (à considérer qu’une Terre d’Islam est une Terre habitée
par des Musulmans, ce qui n’est pas une condition suffisante selon moi), je
vous réponds que toute la Terre est à Allah, et qu’Il l’a promise tout entière
en héritage aux justes et aux pieux d’entre Ses serviteurs avant la Fin des
Temps. Et certes pas à coup d’invasions et de conquêtes comme Bush
prétendait « propager » la démocratie, mais avec la venue du Mahdi et du Messie (as) qui unifieront les
rangs de toutes les bonnes volontés, qui commencent déjà à s’allier et à se réunir aux échelles locales, nationales et
internationales.
Quels pays sont vraiment « musulmans » ?
Et quant au sujet de la foi elle-même, est-ce que tous les pays
majoritairement musulmans sont vraiment musulmans ? Est-ce que l’Islam,
dans son authenticité, y occupe une place importante, du politique au social ?
N’y a-t-il pas de voies de perdition là-bas, aussi dangereuses qu’ici (voire
plus, car nous n’y sommes nullement préparés) ? Et des voies de salvation
tout aussi sûres en France, voire plus sûres encore, car j’ai vu bien des
« Occidentaux » plus pieux et plus savants en Islam que bien des gens
parmi leurs frères « orientaux », qui sont bien plus exposés à l’ignorance,
à l’obscurantisme et à l’aveuglement – Dieu merci, les musulmans de l’Etat
Islamique ne sont que très marginalement occidentaux ? Dans certains pays
« musulmans », il est dangereux d’appartenir à certaines écoles de l’Islam
et même de prononcer toute parole de vérité. En Arabie Saoudite par exemple, où
on peut facilement être arrêté, emprisonné, torturé et mutilé pour peu de chose,
ou dans des lieux où les idéologies salafiste et wahhabite sont très présentes
comme l’Algérie, on peut être exposé à du rigorisme et même à du fanatisme, qui
sont tout à fait étrangers à l’Islam. Sans parler de la Libye, de la Syrie ou
de l’Irak, ou on risque tout simplement de se faire couper la gorge, ou encore
de ce qui se passe au Bahreïn. Notre religion, ce me semble, n’est certainement pas le simple
formalisme et l’ensemble de rituels extérieurs prôné par les « salafistes »
et autres rigoristes littéralistes qui se limitent à l’écorce et nient la sève,
mais avant tout un système de valeurs qui doit s’incarner dans la vie
quotidienne, et qui accorde une place fondamentale à la justice, au droit, à la
tolérance, au savoir et à la résistance à l’oppression. Avez-vous oublié la
fameuse parole de Muhammad Abduh (« Je me suis rendu en Occident, et j’ai vu l’Islam sans les
musulmans ; je me suis rendu en Orient, et j’ai vu les musulmans sans l’Islam »)
et ses enseignements ? En ce sens, le moins qu’on puisse dire est que
désigner les régimes politiques et les sociétés les plus proches de l’Islam
authentique ne va pas de soi, et sur bien des points qui vont du politique au
social, j’estime que la France l’emporterait non seulement sur l’Arabie
Saoudite et les monarchies du Golfe, mais même sur des pays comme l’Egypte.
Notre foyer est ici, nos moyens de subsistance sont ici, nos droits
et nos devoirs sont ici, c’est ici qu’est notre place et que nous pouvons avoir
un rôle à jouer, un message à transmettre. Dieu nous a fait grandir ici et nous
a donné les outils nécessaires afin d’agir dans ce contexte, dans cette
société, nos connaissances et capacités ont été développées dans ce cadre précis.
Si nous partons, tout cela perdra l’essentiel de sa valeur, et pourra même être
un handicap dans le nouveau contexte où nous nous retrouverions. Alors que nous
avons la possibilité de faire beaucoup de choses ici, si nous partons, nous
deviendrons incapables de faire grand-chose, que ce soit pour nous-mêmes et
pour notre communauté restreinte ou élargie, pour la France ou pour le pays de
destination.
L’émigration du temps du Prophète (saas)
Vous nous exhortez à émigrer en nous présentant cela comme une sunna
obligatoire du Prophète (saas), et en nous rappelant que même en vivant en
Occident, nous sommes tenus de la suivre, impliquant clairement que ne pas le
faire serait une désobéissance de notre part, un reniement des préceptes de
notre Prophète (saas). Mais encore une fois, j’estime que cette alternative que
vous nous présentez de manière catégorique est fausse et abusive, tant du point
de vue des faits que du point de vue des pratiques, enseignements et
injonctions du Prophète (saas) telles qu’elles sont reconnues par l’ensemble
des musulmans.
Il est vrai que le Prophète Muhammad (saas) a dans un premier temps
suggéré (et certainement pas ordonné) à un petit groupe de fidèles
persécutés d’effectuer la hijra en Abyssinie, afin de préserver leur foi
et même leur vie, qui était directement menacée par les Quraysh de La Mecque
face auxquels ils n’avaient pas les moyens de se défendre. Ils faisaient en
effet partie des catégories sociales les plus vulnérables, et subissaient non
pas seulement des brimades et injures, mais des tortures qui pouvaient aller
jusqu’à la mort, comme l’exemple fameux de ‘Ammar
b. Yasir et de ses parents.
Mais le Prophète (saas) n’a émis cette suggestion que cinq années après la proclamation
de l’Islam, et donc après cinq années de persécutions terribles incomparables
avec ce qu’on peut voir ou même imaginer en France (dans un futur proche ou
lointain), et seulement pour un groupe très restreint (moins de 20 personnes,
qui furent suivies l’année suivante par 80 environ, soit une centaine au total),
la majorité des musulmans étant restée à La Mecque avec le Prophète (saas). De
plus, il ne les a pas envoyés à l’aventure, vers l’inconnu, mais auprès du
Négus d’Ethiopie, un chrétien généreux et juste en qui il avait pleine
confiance et dont il savait qu’il accueillerait bien ces émigrés – et qui
deviendra un précieux allié des musulmans. Il n’y a donc pas la moindre
analogie possible entre les émigrations en Abyssinie et ce à quoi vous nous
invitez.
De même pour la principale émigration vers Médine qui marque le
début du calendrier islamique, et qui eut lieu 13 années après le début de la
proclamation de l’Islam, soit 13 années de souffrances indicibles pour les
musulmans – ostracisme, blocus économique menant à la famine, tortures,
meurtres, etc. Et pourtant jamais l’ordre de « fuir » n’a été donné,
ni même recommandé. Tout au plus était-il permis, voire suggéré à certaines
catégories particulièrement vulnérables et minoritaires. Ce n’est que lorsqu’une
délégation de Médine a prêté allégeance au Prophète (saas) et que l’Islam s’y
est implanté, après le second serment d’allégeance à Aqaba, qu’il a commencé à
suggérer aux musulmans de s’y rendre par petits groupes, non pas tant pour leur
propre protection que pour l’édification de la première société musulmane qui
était bien évidemment une nécessité absolue en ces temps où l’Islam était
extrêmement fragile. Et ce n’est que lorsque les Quraysh se sont décidés à
attenter collectivement à la vie du Prophète (saas) qu’il a lui-même fait l’émigration,
et que la plupart des musulmans se sont retrouvés à Médine avec lui.
Le Prophète (saas) avait une Révélation directe de Dieu, et donc
parlait et recommandait avec certitude et non pas sur la base de simples
prédictions dues à des analyses qui pourraient très bien ne pas avoir l’autorité
et la solidité nécessaires, et pourraient tout à fait être réfutées et
contredites – pour ne pas dire qu’elles sont complètement extravagantes. D’autre
part et surtout, il avait la responsabilité de sauvegarder l’Islam, qui était
alors menacé d’extinction, en fondant un foyer sûr où l’Islam et les musulmans
pourraient vivre en paix, en sécurité, et se constituer en une véritable
communauté – ce qu’ils ne pouvaient alors faire nulle part sur la face de la
Terre.
Ainsi, que ce soit pour l’Abyssinie ou pour Médine, ce n’était que
pour une durée limitée, c’était à la suggestion de l’Envoyé de Dieu (saas) qui
recevait la Révélation divine, et surtout, ce n’était jamais une obligation,
même si dans ces conditions, il était normal que la place des nouveaux
convertis à l’Islam soit aux côtés de leur Prophète (saas) dans une Terre d’Islam
authentique qu’il fallait bâtir dès les fondements. Le Prophète (saas) était infailliblement
informé par Dieu de ce qui allait advenir et avait donc toute autorité pour
ordonner, mais malgré cela, il n’a fait que suggérer et inviter et certainement
pas ordonner, et il n’a jamais prononcé le moindre mot de mépris ou de condamnation
au sujet des musulmans qui, pour diverses raisons, sont restés à La Mecque (et
qui ont également contribué, à leur niveau, à l’avènement de l’Islam). Et il n’a
pas invité les musulmans à quitter la sécurité pour le danger et l’inconnu
(voire le dénuement et/ou la mort assurés) comme vous le faites avec les
musulmans de France, mais à fuir un danger pour une plus grande sécurité – si,
effectivement, ils s’estimaient en danger – et à le rejoindre avec une solide
garantie de sécurité et de prospérité, celle de Dieu et de son Prophète (saas),
en vue d’œuvrer à l’édification de la première société musulmane de l’histoire.
Le Prophète (saas) avait la garantie d’un refuge sûr à Médine, et il avait pris
toutes les dispositions, sur plus d’une année, pour s’assurer que les musulmans
seraient bien accueillis, qu’ils seraient installés dignement et seraient
pourvus de moyens de subsistance, et malgré cela Dieu n’a rendu obligatoire l’émigration
que pour lui car la diffusion du message de l’Islam était sa responsabilité. Le
Prophète (saas) était extrêmement soucieux du bien-être matériel et
psychologique des gens, et jamais il ne se serait permis de lancer un tel appel
désordonné au « sauve qui peut » qui n’aurait pu que déstabiliser et
effrayer les musulmans, qui étaient en nombre limité, alors que dire aujourd’hui
de cet appel lancé à des millions de personnes, et qui veut avoir le
retentissement de la Trompette du Jugement Dernier ? Où pourraient-ils
trouver un tel refuge ? Dans quel but, quelle serait leur mission aujourd’hui ?
Quel que soit l’angle selon lequel on considère les choses, votre appel me
parait insensé.
L’émigration n’est pas un départ impromptu et inconsidéré vers l’aventure
et le danger. Bien au contraire, c’est un projet mûrement mûri et préparé par
chaque individu, dans des conditions qui ne sont pas les nôtres, du moins pas de
la manière globale que vous préconisez, et qui nécessiterait une situation dans
lesquelles un danger direct et concret pèserait sur notre vie et sur notre foi
– voire même sur la pérennité de la foi musulmane elle-même – et l’existence d’un
endroit sûr où se réfugier. Vous laissez entendre que nous aurions le devoir de
partir sous peine de contrevenir aux injonctions de notre religion, alors qu’au
contraire, c’est bien plutôt l’émigration que vous prescrivez qui constituerait
la véritable désobéissance. Sans parler du fait qu’un innocent ne fuit pas, car
il est dans son droit, et qu’il ne veut pas donner prise à ses ennemis ni leur
céder sans résistance ce qu’ils convoitent illégitimement. Seuls les coupables
et les lâches fuient le danger – et seuls les insensés fuient sans raison.
Une « retraite stratégique » ?
Vous dites très justement que l’émigration de Muhammad (saas) n’était
nullement un acte de lâcheté, et vous rappelez que nous, les partisans de
Muhammad (saas), ne nous soumettons pas à l’oppression, que nous ne sommes pas
des lâches et que nous ne fuyons ni les adversités ni les champs de bataille,
quels qu’ils soient. Et c’est pourquoi vous vous efforcez de présenter cette
émigration massive et soudaine non pas comme un nouvel exode (cette fois pour
les fils d’Ismaël), mais comme une mesure nécessaire face à un ennemi extrêmement
puissant et décidé à nous éradiquer. Vous prétendez que si, Dieu nous en
préserve, nous vous écoutions et émigrions, ce ne serait pas une fuite lâche et
déshonorante du champ de bataille, une abdication face à l’adversité, ce que
nos principes ne nous permettent pas, mais simplement une sorte de
« retraite stratégique » avant de pouvoir revenir plus forts et de
remporter la victoire. Avec tout le respect que je vous dois, cette analyse me
paraît absurde et choquante.
Ainsi, le fait d’émigrer, d’abandonner notre maison, notre travail,
nos amis, toute notre vie, de fuir les lieux non pas face à un danger connu et
présent, comme l’Etat Islamique en Syrie ou en Irak, mais face à un danger
confus et distant, ne serait pas une fuite stupide et ignominieuse mais un acte
sensé et courageux ? Car quel que soit le danger, qui est sans aucun doute
réel, mais infiniment moins grand et moins imminent que ce que vous affirmez,
pourquoi ne pas l’attendre ? Pourquoi ne pas rester ici et essayer de le
prévenir, puis de l’affronter s’il doit absolument se présenter ? Pourquoi
ne pas même envisager de lutter, de résister, de combattre ? Sommes-nous
des brebis, ou des veaux ? Non, nous ne sommes pas des lâches ni des
insensés, et quels que soient les dangers qui se présentent, nous ferons face
et nous nous défendrons de toutes nos forces. Nos parents et grands-parents ont
quitté leur pays pour venir ici et s’y installer, ils ont durement gagné leur
vie et enduré bien des difficultés afin de nous offrir une situation honorable,
ils ont œuvré à la reconstruction de la France et bâti nos maisons, et nous
devrions abandonner tout cela, rendre tous leurs efforts vains, fuir au loin et
tout recommencer à zéro simplement à cause de l’indistinct et lointain
grondement du tonnerre ? Nous devrions nous précipiter vers l’inconnu où
tant de difficultés nous attendent, prévisibles et celées, face auxquelles nous
serions complètement démunis ? Alors que quoi qu’il puisse arriver en
France, nous connaissons très bien le terrain pour y être né, y avoir vécu et contribuer
à le façonner, si bien qu’il sera bien plus facile de résister ici et de
préserver nos principes et notre dignité, et ce quel que soit le danger ? N’est-ce
pas une oppression, et même une absurdité que de nous imposer cette fuite ?
Et Dieu sait que nous ne sommes ni faibles, ni seuls, ni démunis, et que la
coexistence est loin d’être impossible comme vous le suggérez. Non seulement nous
sommes forts, mais nous serons aux côtés des centaines de milliers de Français
non-musulmans qui sont attachés au droit, n’ont pas de préjugés, et comprennent
la logique pernicieuse du choc des civilisations qu’on essaye d’imposer en France
pour la détourner des véritables questions (d’ordre politique, économique et
social), et à laquelle celle-ci a tout à perdre.
Et du reste, que ferons-nous concrètement, en Algérie ou ailleurs,
durant toutes ces années ? Car il est question de revenir plus forts, mais
comment ? Comment se préparer adéquatement à « combattre l’oppresseur » ?
Quand et comment devrons-nous revenir ? Combien de temps notre exil
va-t-il durer ? La rédemption sera-t-elle pour nous, pour nos enfants,
leurs arrière-petits-enfants ? Que faire ? Il est vraiment
inacceptable d’être si allusif pour des questions si capitales, qui devraient, à
vous écouter, bouleverser des vies entières. Est-ce que vous suggérez que nous
rentrions, par exemple, en Algérie pour une dizaine d’années, pour y suivre
quelque formation adéquate et nous entraîner pendant quelques années, afin de
pouvoir revenir et « envahir » la France et soumettre l’oppresseur d’antan ?
Est-ce réaliste, raisonnable, ou n’est-ce pas plutôt qu’une absurde
fantasmagorie ? Et pourquoi cette présentation militaire de la situation,
comme s’il y avait une guerre ouverte entre l’Islam et la France, et que notre
rôle était de refaire les croisades ? Notre religion, bien avant le grand Robespierre, a formellement interdit toute guerre d’agression ou de conquête
(« Et si ton Seigneur l’avait voulu, tous les hommes peuplant la Terre
auraient, sans exception, embrassé Sa foi. Est-ce donc à toi de contraindre les
hommes à devenir croyants ? » – Coran, X, 99 ; « Nulle
contrainte en religion » – Coran, II, 252), et aucun exemple de guerre
offensive ne peut être trouvé dans la sunna du Prophète (saas). Si nous avions
été soumis aux tortures, meurtres, blocus, expropriations dont les musulmans de
La Mecque ont souffert, il pourrait être légitime de reprendre notre dû par la
force, mais si nous partons de nous-mêmes, quel sera notre grief ? Quelle
sera notre justification ? Notre religion nous interdit à la fois d’être
oppresseurs et d’être opprimés, mais vous avez manifestement décidé que nous
allions en transgresser tous les interdits.
Quiconque part et abandonne volontairement sa situation, ses droits
et ses biens sans qu’un danger redoutable, réel et présent l’y ait contraint n’aura
aucune légitimité à les réclamer, ni dans ce monde, ni dans l’autre. Si nous quittons
la France pour nous installer ailleurs, que ce soit pour quelques années ou
pour plusieurs décennies, la France ne sera plus notre pays, et nos revendications
ne seront plus légitimes, car ce qui est bien plus facilement envisageable dans
un futur pas trop lointain, c’est un durcissement des règles concernant la
nationalité : remise en cause du droit du sol, de la transmission
automatique de la nationalité aux enfants, nécessaire présence en France x
mois chaque année, etc. En vous écoutant, nous nous mettrions alors dans la
même situation que les Palestiniens qui ont abandonné leurs maisons en 1948,
fuyant la guerre pour un temps très court, pensaient-ils, mais qui ne sont
jamais revenus et ont été dépossédés de tout, se retrouvant, jusqu’à ce jour,
réfugiés aux quatre coins du monde. Voulez-vous que nous devenions les
apatrides de demain ? De nouveaux Juifs errants ? Par notre propre
faute, sans y avoir été soumis par la force et sans avoir fait mine de résister,
alors que les troupes des Pharaons d’aujourd’hui ne sont ni à nos trousses, ni
même constituées – du moins à l’échelle nationale ? C’est vraiment
insensé.
L’Islam et le choc des civilisations
Il me semble irresponsable, surtout dans un tel contexte, de donner
du crédit à la théorie du « choc des civilisations » prônée et façonnée
de toutes pièces par les impérialistes américains, les sionistes et les
racistes et extrémistes de tous bords. Vous apportez une caution
« islamique » à ces discours haineux et incendiaires, récusés par
notre religion, selon lesquels la coexistence entre musulmans et non-musulmans,
entre français « de branche » et français « de souche » ne
serait pas possible. Maintenant, grâce à vous, ces racistes peuvent invoquer la
caution d’une « autorité musulmane » qui appelle très précisément à
ce qu’ils appellent, à savoir la « remigration », impliquant la
déchéance de nationalité et la déportation, volontaire ou forcée. Ils affirment
haut et fort que l’Islam n’a pas sa place en France, et que les musulmans ne
peuvent pas cohabiter en paix avec le reste des Français. Et vous joignez votre
voix à la leur, alors que notre religion ne prône pas la ségrégation et l’antagonisme
mais la paix, la coexistence, l’harmonie, la compréhension et la tolérance, et,
bien sûr, la dignité et l’auto-défense – car comme Malcolm X, nous ne tendons
pas l’autre joue et sommes à même de nous défendre par tous les moyens nécessaires.
Je suis au regret de vous le dire, mais vous êtes, que vous vous en rendiez
compte ou non, la recrue rêvée pour les identitaires islamophobes, anti-arabes
et anti-immigration, et ils vous louent à longueur de journée sur les forums de
discussion. Vous êtes une bénédiction pour eux, et vous tombez à pic, leur
permettant d’être encore plus audacieux dans leurs attaques contre l’Islam et
les musulmans et leur rejet d’une France multiethnique et multiculturelle.
Une guerre est déclarée non pas contre l’Islam en tant que tel,
mais, de manière générale, contre toutes les croyances, traditions, valeurs et
libertés authentiques, contre tout ce qui peut amener les individus, communautés
et nations à être forts et éveillés, à s’unir et à secouer le joug de toute oppression.
L’Islam barbare et obscurantiste d’Arabie Saoudite n’est pas un ennemi de l’Occident,
au contraire, il est son principal allié, car il n’enseigne que l’ignorance et
la soumission. Les musulmans n’ont pas à craindre en tant qu’ils sont musulmans,
mais seulement à hauteur de leur degré d’éveil, de résistance et d’activisme,
comme tout autre citoyen, même si aujourd’hui, l’Islam est effectivement
présenté comme une cible de choix à cause de ses valeurs et de sa capacité de
cohésion. Cette offensive a lieu actuellement à l’échelle mondiale, et la
France pourrait bien devenir une ligne de front dans cette guerre politique,
idéologique et culturelle – et parfois militaire. Et de même que les Etats-Unis
et Israël en sont le fer de lance international, de même que des torchons comme
Charlie Hebdo en étaient de diligents soldats, et de même que la hyène
Marine Le Pen et son parti portent haut l’étendard de cette cause, vos propos
sont maintenant utilisés comme une caution dans cette offensive, d’où, je le
regrette, cette longue lettre de protestation. Vous apportez la voix d’un
« savant musulman » dans cette arène du « choc des
civilisations », en reprenant ce que disent nos ennemis, à savoir que la
coexistence entre musulmans et non-musulmans en France est impossible.
Ne sommes-nous pas, devant Dieu comme devant les hommes, responsables
non seulement de nos intentions, mais également de notre démarche, de la
manière dont nous transmettons notre message, de notre rigueur, de notre
humilité, et des conséquences prévisibles de nos paroles et de nos
actions ? Ne devrions-nous pas faire attention à ne pas donner prise à nos
ennemis, à ne pas leur permettre d’utiliser à leur avantage nos déclarations et
actions, et de faire attention à ne pas égarer les gens dont les vies entières pourraient
être brisées si elles essayaient d’appliquer ces exhortations inconsidérées à l’émigration ?
Il me semble que vous êtes insouciant, voire ignorant face à ces réalités.
[Voir la 2e partie de cette lettre : Lettre ouverte à « Cheikh » Imran Hussein et aux identitaires, par un Français de confession musulmane (2/2)]
Contenant les sections suivantes :
La Russie face à l’Empire
Qu’est-ce que l’eschatologie islamique ?
La France devient-elle totalitaire ?
La place des musulmans en France
Les enseignements de l’Islam
Conclusion
Monsieur Sayed Hasan,
RépondreSupprimerJ'ai le sentiment que nous aurions pu nous entendre car je partage beaucoup de vos idées.
De plus, je peux comprendre votre réaction à l'injonction du Sheikh,
car qui veut vivre sous le régime de la charia la plus littérale ?
Cependant la façon dont vous niez les siècles d'agressions islamiques,
de même que vos insultes ignobles vis à vis de Marine Le Pen,
me portent, ne m'en veuillez pas, à vous encourager à suivre les conseils du bon Sheikh Imran Hussein.
Nous perdrons un homme très intelligent et vertueux, mais on ne peut vraiment aimer la France quand on nie, à la fois, le pays réel, et la vérité historique.
Je pense que cette négation ne découle pas, bien évidemment, d'une quelconque origine ethnico-religieuse.
Permettez-moi de vous rappeler que tout ce que vous appréciez et tout ce dont vous bénéficiez en France est le fruit, non pas de la Sunna, mais du Christianisme,
et principalement du Catholicisme, et ce, depuis les Temps Apostoliques,
- n'en déplaise à Robespierre.
Pour ma part je refuse de perdre toutes les précieuses libertés acquises à l'époque médiévale - époque au sujet de laquelle la désinformation est invraisemblable -
ceci au nom des soit-disant "lumières" anti-chrétiennes qui nous aveuglent littéralement depuis la soit-disant "Renaissance".
Vous êtes sans doute victime vous-même de cette désinformation ainsi que la grande majorité de nos concitoyens, mais, de grâce, ne considérez plus le pays qui vous permets de vivre librement votre foi seulement comme "un refuge sûr",
mais aussi comme un rempart des libertés en voie de perdition.
Tâchez-donc de bien reconnaître vos véritables amis :
ceux et celles qui rejettent le fondamentalisme islamiste conquérant, la division communautariste du peuple, et la domination mondiale d'élites apatrides poursuivant un mythe progressiste,
quel que soit leur parti politique.
Je ne suis pas aussi cultivée que vous, mais je vous encourage à lire les ouvrages de l'historienne Régine Pernoud "Pour en finir avec le Moyen-Age", puis "Histoire de la bourgeoisie en France".
Je vous quitte avec l'impression de perdre un ami, en vous souhaitant la Grâce de Dieu sur votre chemin.
Sandrine Eustache